Résistance
Septième Art est une association qui s’adresse à toutes celles
et tous ceux, spectateurs et professionnels du cinéma, qui entendent préserver
et étendre une liberté de choix dans ce qui constitue leur loisir,
leur métier, souvent leur passion. Nous
estimons que cette liberté est aujourd’hui menacée, et qu’aux côtés
des autres associations existantes, regroupant le plus souvent des catégories
de professionnels, il y a lieu d’informer et de sensibiliser le public, de l’inviter
à agir pour échapper à la logique de simple consommation
que l’industrie cinématographique promeut aujourd’hui. Notre
charte précise nos analyses, mais c’est un document destiné à
évoluer, à être complété pas les apports et
les réflexions des uns et des autres. Résistance
Septième Art organise des manifestations cinématographiques,
certes, mais se veut aussi un lieu de production d’idées : notre charte
est aussi une façon de vous inviter à rejoindre notre action. Résistance
Septième Art ! ? Résister pourquoi ? Résister
à quoi ? Résister
comment ? Résister
pourquoi ? Le
cinéma-marchandise, c’est aussi cette formidable organisation de ciné-merchandising
multinational à laquelle certains voudraient actuellement réduire
la planète entière. Et ça marche le système médiatico-préscripteur
qui vise à conditionner l’individu-spectateur pour en faire un individu-consommateur
d’images ! Ca marche le bourrage de crânes pour salles obscures ! Ecoutez-les
le matin au comptoir devant le petit crème : ils parlent tous du même
match, du même interview, du même film... Et
si la pensée unique c’était tout simplement le début de la
fin de la pensée tout court ? Résister
au nom de la salubrité intellectuelle. Résister
à quoi ? Le
cinéma est sans doute un art, mais c’est aussi un formidable outil d’expression
et de communication. Ca peut donc être aussi un formidable vecteur de propagande,
et un formidable outil de pouvoir pour qui aime tirer les ficelles de spectateurs-marionnettes.
Selon
l'époque, les tentatives d'inféodation du cinéma ont ainsi
évolué et se sont mises au goût du jour de la modernité
économique libérale. De
l'inféodation politique classique (fascisme traditionnel, censure et
cinéma de propagande) on est passé au système d'inféodation
économique moderne reposant sur le " marché roi ".
Dans
ce système, les acteurs gèrent eux-mêmes " idéalement "
leur propre censure pour échapper à un ensemble de sanctions réputées
" naturelles " par ceux-là mêmes qui exercent
le pouvoir. Appliqué
au cinéma, le système du " marché roi "
met en place les critères d’excellence qui sont maintenant les références
de la profession. Bien
cibler le film au stade de la conception, bien cibler son lancement au stade de
la distribution... Le
cinéma ne devient plus qu’une affaire de rentabilité, de marketing,
de merchandising et de publicité. Comme
les enjeux économiques sont importants, nul ne sera surpris de constater
que c’est l’industrie américaine qui joue les fers de lance. Quelques
exemples : -
Le cinéma américain représente en moyenne en Europe (chiffres
à vérifier pays par pays) 80 à 85% de part de marché.
Vous
êtes en Suède. Le cinéma américain y occupe 95% des
écrans. Reste 5% pour le cinéma suédois et pour le cinéma
du reste du monde. Idem, dans les mêmes proportions, en Allemagne. La
situation est tout aussi caricaturale en Grèce, en Espagne (quoique les
autorités aient décidé de réagir) ou en Angleterre,
où la soi-disant embellie n’est due qu’au fait que les équipes américaines
viennent tourner dans les studios britanniques, parce que les coûts y sont
moins élevés. Ailleurs
? Prenons l’avion pour voir : Il
a été projeté au Sénégal pendant un an 68 films.
59 étaient américains, 4 britanniques, 2 français, 1 italien,
1 australien et... 1 africain. Une belle initiative, celle des Ateliers de l’Arche,
est d’ouvrir une salle à Dakar pour qu’il y soit vu des films, d’autres
films. Serions-nous en voie de dakarisation, et faut-il en appeler à l’aide
aux Ateliers de l’Arche ? Le
cas français est effectivement un cas, puisque la part de marché
américaine n’est " que " de 60%. Il nous reste donc
40% de chance de voir des films français et étrangers, et (quand
même !) quelques bons films américains. -
Les américains (ce n’est pas de la paranoïa, mais un fait), prennent
l’affaire très au sérieux. Ils sont maintenant capables de fabriquer
plusieurs produits par mois, voire par semaine, qui réalisent des profits
immenses. Mais, malheur, la France s’est dotée d’une réglementation
qui protège les petits, aide la création nationale et favorise la
distribution internationale. Une réglementation que ne peuvent souffrir
les compagnies américaines et leurs alliées, objectives ou non,
françaises. Il suffisait aux américains et à leurs fameux
hommes de loi de contourner cette réglementation, et ce dans les trois
domaines du cinéma : production, distribution et exploitation. -
Pour qui est de la distribution, les groupes ont trouvé une tactique qui
leur réussit fort bien. C’est l’alliance. Plutôt que la guerre ouverte,
on s’associe avec les grandes entreprises françaises, on ne distribue pas
les films sous le label Walt Disney mais sous le sigle GBVI (Gaumont-Buena Vista
International, c’est pareil). On n’est plus la Fox, mais UFD (regroupement de
UGC avec la Fox). Et à travers des toiles d’araignées financières
que même Jean-Pierre Gaillard ne comprend plus, on apparaît chez BAC
Films, MK2, CB 2 000 quand ça existait encore, Canal Plus bien sûr... -
Pour ce qui est de la production, on sait que la puissance financière américaine
permet de générer des produits qui répondent à l’attente
d’un jeune public. Cette attente, annoncée comme une évidence, place
l’action, la débauche d’effets spéciaux et les kilos de TNT aux
premiers plans. Mais la France s’est dotée d’un système d’aide à
la production. Pourquoi ne pas en profiter ? Alors
apparaissent (c’est nouveau) des sociétés bien françaises,
au doux nom de Warner France par exemple, et qui produisent des films français,
le dernier Claude Miller par exemple. Warner
n’hésite pas à attaquer la production française sur son propre
terrain pour tirer les bénéfices du système d’aide qui devrait
justement aider l’innovation et l’expérimentation, et non les grandes compagnies
qui n’en ont nul besoin. -
Reste l’exploitation. C’est le plus gros morceau. En contrôlant le réseau
d’exploitation dans son entier, les grands groupes sont en phase de réussir
un véritable coup d’état culturel. La
méthode est simple. Prendre une ville, moyenne ou grosse. Y construire
un multiplexe, avec quinze salles, des pop-corn, du coca, des ordinateurs branchés
sur le net, des bars, des jeux électroniques et bientôt (c’est prévu),
des boutiques de vente de produits dérivés des films à l’affiche.
Tous
les quarts d’heure, démarre un film, le spectateur n’a même plus
besoin de regarder sa montre, il va au cinéma comme au supermarché.
D’ailleurs,
le multiplexe s’installe presque toujours près d’un centre commercial.
La confiserie représente une marge de 75% pour la salle. En premier lieu,
il faut étouffer l’exploitant local, celui qui est installé en centre
ville, s’il existe encore, ou s’il ne veut pas vendre, et même s’il fait
de l’art et essai, car les grands groupes d’exploitation veulent éliminer
toute concurrence. Pour
cela, les multiplexes s’annoncent audacieux et programment effectivement des films
d’art et essai. Ils poussent maintenant le vice jusqu’à proposer à
notre épicier de programmer lui-même un, voire deux écrans
réservés au cinéma " difficile ". Mais
quand la salle de centre ville est enfin désertée, alors, plus question
d’art et essai, on revient à une exploitation commerciale débridée,
avec le même film programmé dans plusieurs salles pour lui assurer
une durée de vie plus courte (c’est la cinéma fast-food). Un
exemple : quelques mois après l’ouverture du complexe multisalles de Rosny
sous Bois (UGC Ciné Cité), tous les cinémas alentours ont
disparu. Résister
à ceux qui nous présentent l’avènement du Disneyland cinématographique
comme quelque chose de naturellement inéluctable pour le septième
Art. Résister
comment ? De
tous les arguments utilisés par le système d’inféodation
économique pour accroître son emprise, c’est sans doute celui de
la rentabilité qui domine. Tout passe, par financiers interposés,
à la moulinette de l’étude de rentabilité. La rentabilité
est en effet devenue le critère " naturel " de performance
accepté de tous (ou presque...) dans la société. Parfois,
on fait ce cauchemar : deux spectateurs face à l’écran dans le noir,
se rendant compte qu’ils ne sont que deux, prennent honte quelque part de participer
à une opération malsaine, car, manifestement pas rentable du tout...
En
sortant de la salle, ils jurent leurs grands dieux qu’on ne les y reprendra pas
et que la prochaine fois ils iront voir comme tout le monde le Titanic
du moment ! Résistance
Septième Art a l’ambition de réfléchir et de provoquer
des éléments de réponse à des questions qu’il est
trop souvent jugé impertinent de poser, mais qui nous paraissent au coeur
de l’avenir du cinéma. Par
exemple, et cette liste n’est pas exhaustive : -
Ca veut dire quoi être rentable pour un film américain, un film français...
? -
Ca sert à quoi pour un film français de faire 20 000 ou 100 000
entrées en France à partir du moment où dans le budget de
départ, où Canal + est le pilier de financement, les recettes salles
étaient seulement prévues " pour mémoire "
? -
Combien ça coûterait réellement à l’état français,
ou aux états européens en général, pour remplacer
la moitié des conneries américaines qu’on voit toute la journée
à la télé par des conneries françaises ou européennes
? (Ou, pourquoi pas, même mieux que des conneries ?) -
A quelle hauteur le contribuable national et le spectateur de cinéma financent-ils
un film français ou européen par rapport à d’autres ressources
privées ? -
Comment, par qui, et en fonction de quels critères sont sélectionnés
les projets qui débouchent sur le premier long métrage d’un réalisateur ? -
Quels défis posent au cinéma les nouvelles technologies (" Cinéma
à domicile " via les écrans " géants "
et les standards haute définition, satellites, Internet, ...) ? Résister,
c’est démonter le système d’inféodation et c’est d’abord
comprendre les rouages financiers de la formation de la rentabilité du
cinéma dans l’ensemble du PAF. Résister,
c’est non seulement défendre " l’exception française "
mais agir pour qu’elle fasse des petits, qu’elle soit comme la République,
partagée par les cinémas du monde.
Pour
poursuivre la réflexion, rendez-vous sur la rubrique "Débats" |