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Pour une carte Paris 7ème Art (mai 2001)
Le cinéma les 7 Parnassiens privé de film (communiqué du 10 avril 2002)
Lettre ouverte à Madame Catherine Tasca, Ministre de la Culture

Madame la Ministre,


Depuis plusieurs mois, le lancement de la carte UGC alimente polémiques et commentaires. Comme il fallait s'y attendre, les groupes concurrents mettent en place des systèmes comparables. On voit même, dans une grande ville de l'Ouest, la concurrence entraîner une dérégulation sauvage dont il est clair que l'enjeu premier n'est pas, comme on le fait croire, l'accroissement du nombre de spectateurs, mais bien l'accroissement des parts de marché des initiateurs de l'offensive.

Résistance 7e Art est une association qui regroupe des professionnels et des spectateurs. C'est ce qui fait sa spécificité dans un domaine, le cinéma, où les professionnels défendent, ce qui est normal, des intérêts catégoriels à travers des organisations diverses et modérément transversales. Notre objectif est de préserver et de développer la diversité des œuvres présentées au public afin de lui offrir un véritable choix, de faire en sorte que la France garde, contrairement aux autres pays européens, la possibilité de montrer des cinémas différents de par leur origine géographique variée ou la diversité des réalisateurs. Nous constatons une évidence : la survie sur nos écrans de ces cinémas-là n'est possible que grâce aux efforts d'exploitants et de distributeurs indépendants des grands groupes, au travail des techniciens, comédiens, réalisateurs, producteurs, dans des conditions souvent précaires, et au système de soutien, alimenté en bonne partie par le public lui-même. Ni UGC, ni Gaumont, pour ne citer que les principaux, ne jouent un rôle significatif pour la promotion des films de pays tiers (hors Etats-Unis) ou de jeunes réalisateurs. Pour les grands groupes, ces films constituent, au mieux, un alibi. Les distributeurs adhérents de notre association regorgent d'exemples des difficultés d'accéder aux écrans des grands circuits, nos amis exploitants indépendants nous disent les difficultés qu'ils ont à accéder à certains films, et la multiplication des multisalles n'a en rien contribué à améliorer cet état de fait.

L'introduction de la carte UGC aggrave encore les difficultés. Nous n'entrerons pas dans le procès, qui n'est pourtant pas sans fondement, fait aux multisalles de miser davantage sur les produits annexes (confiseries, bar etc) que sur les œuvres présentées pour assurer leur rentabilité, et centrerons notre interpellation sur les cartes mises en place par UGC, puis, très récemment, par Gaumont/MK2. Nous ne sommes pas hostiles au principe d'une carte, si cela permet à un plus grand nombre de spectateurs de tous milieux sociaux d'aller plus souvent au cinéma voir les films de leur choix : quatre paramètres, donc, qui nous semblent devoir être pris en considération : le nombre de personnes concernées, l'accessibilité sociale, la fréquence, et le libre choix.

Au niveau du nombre, il apparaît que la carte UGC rencontre un grand succès. Si cette tendance se confirme, le premier objectif sera atteint, comme vous semblez le penser. Si elle ne se confirme pas, les cartes disparaîtront d'elles-même, les grands circuits n'ayant plus intérêt à maintenir un tel dispositif.

Au niveau de l'accessibilité sociale, le problème est plus compliqué : la carte UGC, c'est certes 98 francs par mois, plus 200 francs de frais de dossier, mais c'est aussi un engagement sur 12 mois, soit un budget annuel cinéma de près de 1400 francs, très supérieur à la dépense moyenne consacrée au cinéma actuellement constatée, et inaccessible aux catégories les plus défavorisées. Si le spectateur veut élargir son choix, il devra aussi souscrire la carte Gaumont-MK2, et peut-être demain la carte Pathé. Soit un doublement, au moins, de son budget, et par conséquent une ségrégation plus importante encore en fonction du revenu. Quelle famille modeste de collégien pourra, par exemple, accepter un prélèvement mensuel de près de 200 francs ? Le collégien en question, s'il continue d'aller au cinéma, paiera, de temps en temps, plein tarif, alors que son condisciple plus fortuné paiera moins cher : comme justice sociale, on fait mieux ! Et ce n'est pas l'idée, sur laquelle semblent travailler vos services, d'une " carte indépendants " qui améliorera la situation : le danger est alors grand de renforcer les tendances au ghetto qui menacent déjà les défenseurs d'un cinéma différent et de qualité.

Au niveau de la fréquence, et c'est incontestablement le point fort du dispositif, il paraît probable que le souscripteur d'une carte aura tendance à maximiser son investissement. l'effet devrait donc être positif. le dispositif risque toutefois d'encourager, notamment dans les multisalles, une sorte de " zapping " cinématographique : on regarde quinze minutes d'un film, on est déçu, on change de salle : est-ce vraiment un progrès culturel ?

Au niveau de la liberté du choix, nous nous posons bien des questions : Gaumont/MK2 appelle clairement les indépendants à les rejoindre. L'un d'entre eux est même partie prenante de l'initiative. UGC, plus prudente, a déclaré " ne pas les exclure ", puis, " concurrence " aidant, va dans le sens de Gaumont/MK2. Les exploitants indépendants, si aucune mesure n'est prise, vont donc être condamnés à choisir leur bannière ou à disparaître. Peut-on être sûr, compte tenu des rapports de force existants, que ces ralliements obligés seront sans conséquence sur la liberté de programmation des salles indépendantes ? Les grands groupes, qui intègrent de plus en plus la distribution, l'exploitation, et même la production, jureront probablement la main sur le cœur. Et ensuite ? Nous avons quelques exemples de multisalles qui, en échange d'une fermeture d'une salle indépendante, " concédaient " un ou deux écrans aux anciens exploitants. Ces " concessions " ont en général très rapidement pris fin. Notre crainte, c'est que cette " concurrence " contribue encore à réduire la part du cinéma non américain sur nos écrans, qui diminue régulièrement, se rapprochant chaque année davantage de ce qu'on nous présente parfois comme des " normes " européennes qui ne sont que le résultat des démissions des Etats. La France se distingue encore, et nous souhaitons qu'elle le fasse très longtemps. De plus, comme nous l'avons dit précédemment, la pluralité, même limitée, des cartes empêchera, de fait, le plus grand nombre de choisir vraiment, " prisonnier " qu'il sera de son abonnement.

Nous ajouterons que, au niveau purement économique, la soi-disant concurrence entre les deux futures cartes n'en est pas une, ou alors de type très particulier, ce que les économistes appellent un oligopole (actuellement un duopole), dont le résultat aboutit dans la quasi totalité des cas à une entente. Quand le marché sera écrémé, les deux ou trois groupes dominants harmoniseront leurs dispositifs, soyons en sûrs. Même si nous sommes conscients que le cinéma est aussi une industrie, que ses enjeux financiers ne sont pas minces, nous considérons qu'il s'agit avant tout d'un bien culturel, quand bien même le taux élevé d'inepties, notamment nord-américaines mais pas seulement, que présentent les grands circuits pourrait nous en faire douter. Et un bien culturel ne saurait ressortir de la seule " loi du marché ".

Voilà pourquoi, Madame la Ministre, nous vous demandons d'intervenir dans ce débat, autrement qu'en envisageant de contrôler les abus éventuels des cartes mises en place. Nous ne sommes pas dupes : le temps de définir les abus en question, les sanctions éventuelles, le mécanisme de fonctionnement, et le terrain sera déjà occupé par les grands groupes.

Ce que nous proposons n'est pas nouveau : la mise en place d'une carte universelle unique parfois appelée " carte orange " (on changera la couleur, si vous voulez, le problème n'est pas là). Il s'agira d'une carte cinéma, acceptée dans toutes les salles qui le souhaiteront, sans inféodation obligatoire à tel ou tel groupe. Afin d'améliorer l'accessibilité sociale, on pourra prévoir des conditions préférentielles pour certaines catégories (collégiens, étudiants, chômeurs, faibles revenus) , qui pourront porter sur le tarif et sur la durée de la souscription. La gestion en serait confiée au Centre National de la Cinématographie, instrument public aguerri dans les mécanismes de remontées de recettes et de redistribution. C'est selon nous le rôle des pouvoirs publics d'intervenir à ce niveau. Et, qui plus est, ce serait conforme à la philosophie du gouvernement dont vous faites partie : corriger les dérèglements du marché, préserver et développer l'accessibilité sociale, encourager les pratiques culturelles.

Nous espérons, Madame la Ministre que cette proposition retiendra votre attention.

Jean-Luc Gonneau ( Président de résistance 7e Art ), Jacques Atlan ( Producteur et distributeur ), Claude Gérard ( Exploitant ), Jacques Mathou ( Réalisateur et Comédien).

Résistance 7ème Art met en ligne des articles sur le cinéma d'auteur, indépendant, d'art et d'essai
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